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L’incertitude ou l’émergence d’un nouveau référentiel : habiter le présent, non plus le futur


Le choc que nous éprouvons au contact de l’incertitude nous indique qu’elle nous est peu familière, que nous sommes habitués à évoluer dans un monde de haute stabilité, dans un monde que l’on pourrait qualifier de stable et de prédictible ou en tout cas perçu et appréhendé comme tel. Or, ce qui fonctionne dans un monde stable et prédictible, ne fonctionne pas forcément dans un monde rempli d’incertitude. L’incertitude a cela de troublant qu’elle fait voler en éclat notre référentiel de pensée, nous invitant à de nouvelles postures et que nous n’en avons pas forcément conscience.

Dans un monde stable donc prédictible, un certain type de raisonnements, de croyances et d’actions peuvent s’établir. Assemblées, celles-ci constituent un cadre que nous utilisons pour penser le monde. Un cadre dont nous n’avons pas forcément conscience, tant il est imprimé en nous, devenant, en quelque sorte l’architecture de notre pensée. C’est à partir de ce cadre, de ce référentiel, que nous nous organisons, faisons société et entreprenons.

Dans un monde stable et prédictible, nous pouvons nous projeter dans le futur et y imaginer notre trajectoire. Mieux, comme tout est prédictible, nous pouvons rêver le futur avec beaucoup de détails, avec une échéance précise et le faire advenir à l’heure dite. Au point même d’habiter ce futur rêvé et de déserter le présent qui devient un territoire transitoire par lequel il faut bien passer pour prélever les ressources et les assembler afin que le futur désiré advienne. C’est une des particularités qu’offre un monde stable et prédictible : il permet d’habiter le futur et de délaisser le présent.

Dans un monde stable et prédictible, nous pouvons concevoir la croissance et même la croissance infinie. La croissance parce que, comme tout est prédictible, nous pouvons envisager le monde comme une simple mécanique. Les équations y sont linéaires et dessinent des lignes droites, reflet d’une croissance constante dont l’inclinaison peut aller jusqu’à atteindre la verticale. Une telle inclinaison est envisageable car nous n’habitons plus le présent et nous pouvons nous affranchir de la réalité qu’il porte en lui. Nous pouvons vivre hors sol et nourrir nos équations linéaires de données toujours plus immenses, données correspondants aux besoins de notre futur rêvé et non à ce qui est, qui a cessé de nous intéresser. Ce qui nous anime, c’est ce que nous voulons voir advenir. Nous croyons profondément au futur, non au présent qui est à perfectionner éternellement. Une certitude nous habite : si le présent est défaillant et ne peut nous pourvoir, le futur lui, pourvoira. Toutes les solutions sont logées en lui. Simple question d’organisation et de progrès inéluctable, prévu par nos équations linéaires nourries de nos données imaginaires.

Dans un monde stable et prédictible, nous pouvons utiliser nos savoirs actuels en l’état. La vision simple et mécanique le permet absolument puisque tout est réplicable. Le raisonnement est linéaire, analytique et les remises en question sont peu nécessaires puisque tout semble maîtrisé et maîtrisable. Un tel monde peut être listé, catalogué, compartimenté. Il peut être perçu comme un immense mécanisme composé d’une multitude de pièces, certes complexes, qu’étudient, scrutent et analysent des hyper-spécialistes, experts sur des domaines bien spécifiques. Leur enjeu est de décoder l’immense système pour mieux le maîtriser et le rendre plus stable encore. Car celui-ci ne doit surtout pas dysfonctionner et se comporter absolument comme prévu. Pourquoi ? Parce que si ce n’est pas le cas, alors cela signifie que nous ne vivons pas dans un monde stable et prédictible. Notre référentiel de pensée devient caduc car incapable de fonctionner dans un univers instable. Cela signifie alors changer de référentiel, ce qui est aussi fou que la révolution copernicienne, avec cette même étrangeté : à la fois rien ne change, le soleil se lève toujours là où il doit se lever, et à la fois tout change car il n’est plus possible d’entrer en relation avec le monde de la même façon.

C’est pourquoi, dans un monde stable et prédictible, quand des voix s’élèvent pour évoquer une instabilité probable, une croissance qui pourrait ne pas être infinie, des ressources qui pourraient être limitées, l’eau qui pourrait venir à manquer, le climat à être bouleversé, ces voix sont inaudibles car elles n’entrent pas dans notre référentiel de pensée et plus que cela, elles le mettent à mort…

Alors oui, l’incertitude nous bouleverse. Nous l’évoquons comme si, jamais auparavant elle n’avait existé, comme si nous étions les premiers à l’expérimenter, oubliant ce passé fait d’invasions, de guerres, de famines, d’épidémies de peste et autres réjouissances… L’incertitude est une vieille compagne de l’humanité. Mais peut-être que oui, nous sommes bien les premiers à ne pas l’avoir véritablement expérimentée, à l’avoir, pour un temps sortie de nos vies et à la rencontrer pour la première fois.

Avec l’incertitude, les raisonnements, croyances et actions que nous avons développées dans un monde stable et prédictible deviennent obsolètes. Le futur ne se convoque plus à une heure et une date précises. Les cartes se rebattent en permanence faisant de l’inattendu, l’invité quotidien qui se joue de nos plans. Nous ne pouvons plus donner au futur une forme précise. Sa forme ne tient plus, seule tient l’intention. Intention d’un avenir vivable, à défaut d’être meilleur, dont la forme nous échappe car elle émergera sous nos pas, au grès des aléas avec lesquels nous composerons. Avec l’incertitude, nous n’habitons plus le futur mais nous habitons puissamment le présent. Nous composons avec lui et avec ce qu’il veut bien nous offrir aujourd’hui, mais peut-être pas demain. Nous dessinons un futur en mouvement où les savoirs utiles à son émergence ne peuvent plus être figés. De nouveaux liens, de nouveaux ponts sont à établir pour qu’émerge un devenir souhaitable. La pensée mécanique et linéaire, la pensée analytique ne font plus recettes car elles ne dépeignent pas le présent mouvant et vivant que nous habitons. Il nous faut alors penser la vie, non plus la croissance, inviter le sensible et les émotions pour être en capacité d’œuvrer dans un monde animé par la créativité du vivant et non par nos rêves individuels de croissance. Il nous faut apprendre à dialoguer et non plus à monologuer, à coopérer et non plus à imposer, à nous replacer dans le grand ensemble que compose la « toile du vivant » pour reprendre l’expression de Joanna Macy.

Avec l’incertitude, tout notre cadre de pensée vole en éclats. Concrètement, entrer en incertitude, signifie qu’il ne s’agit pas simplement de changer mais d’opérer une transition. Un changement, c’est un aménagement pour obtenir une amélioration, dans un cadre de pensée inchangé. Une transition, c’est quitter un monde pour en pénétrer un nouveau, comme quitter le futur pour habiter le présent…

 

Illustration : Leïla Simondi


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